La Banque centrale européenne a imposé un moratoire à la troisième banque commerciale lettone, dans la tourmente depuis que le Trésor américain l'a classée comme établissement à haut risque de blanchiment, la soupçonnant d'avoir participé au financement de la vente de missiles balistiques à la Corée du Nord.

Du jamais-vu dans l'Europe bancaire : la BCE a décidé, en urgence ce lundi, d'imposer un « moratoire » à la banque lettone ABLV, le troisième plus important établissement de crédit du pays balte, dans la tourmente depuis qu'elle n'avait plus accès aux marchés financiers, après une sanction des Etats-Unis.

« Cela signifie qu'à titre temporaire, et jusqu'à nouvel ordre, une interdiction de tous paiements par la Banque ABLV sur ses passifs financiers a été imposée et est actuellement en vigueur », explique la BCE dans un communiqué.

Le moratoire, imposé au régulateur letton, a été jugé nécessaire « pour trouver une solution » en coordination avec les autorités lettones et remédier aux problèmes de pénuries de financement. Il s'agit aussi d'éviter un "bank run", une ruée au guichet des dépositaires, même si ABLV est plutôt une banque d'entreprise et de gestion de fortune. Une telle mesure n'avait pu être imposée l'an dernier au moment des difficultés de Banco Popular, rachetée pour un euro symbolique par Santander, car la loi espagnole ne permet pas de décréter de moratoire sur les dépôts.

« La situation financière de la banque s'est fortement dégradée ces derniers jours suite à une annonce effectuée le 13 février par le réseau de lutte contre la délinquance financière (Financial Crimes Enforcement Network) du Département du Trésor des États-Unis de proposer à partir de février une mesure désignant la Banque ABLV comme un établissement représentant un risque majeur en matière de blanchiment des capitaux,conformément à la Section 311 du Patriot Act américain », contextualise la Banque centrale européenne.

"Blanchiment institutionnalisé" et financement en Corée du Nord

Le réseau anti-délinquance financière du Département du Trésor américain a, en effet, rendu des conclusions alarmantes :

« ABLV a institutionnalisé le blanchiment d'argent en tant que pilier des pratiques commerciales de la banque », écrit le FinCEN dans un communiqué.

« Les pratiques déficientes des banques favorisent un large éventail de comportements illicites, y compris l'activité liée au programme d'armement de la Corée du Nord et la corruption liée à la Russie et à l'Ukraine », a déclaré Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor de l'administration Trump.

Dans son rapport, le FinCEN détaille que « l'activité illégale de la banque lettone inclut des transactions avec des parties connectées à des entités désignées par les Etats-Unis et l'Onu, dont certaines impliquées dans la fourniture ou l'export de missiles balistiques à la Corée du Nord. »  Pointant la défaillance des systèmes de contrôle et procédures, il affirme aussi que la banque a vu transiter « des milliards de dollars dans la corruption publique et le dépouillement d'actifs par le biais de comptes de sociétés écrans. »

Affaire de corruption à la banque centrale lettone

Fondée en 1993, la banque ABLV, issue de la privatisation d'une branche régionale de la banque nationale, est spécialisée dans la banque privée, de financement et d'investissement. Depuis son siège de Riga, elle s'est fortement développée dans les Etats de la CEI, Ukraine, Azerbaïdjan, etc. A la fin de 2017, elle disposait de liquidités de 1,7 milliard d'euros pour un total de bilan de 3,63 milliards d'euros et un produit net bancaire de 140 millions d'euros (en 2016). ABLV, qui emploie plus de 800 personnes, est la deuxième banque lettone en termes de dépôts (2,6 milliards d'euros, derrière la Swedbank et devant SEB). La cotation de son action a été suspendue à la Bourse Nadsaq de Riga.

« Cette décision est prise afin de donner à la banque suffisamment de temps pour prendre des mesures en vue de stabiliser la situation existante et d'accumuler les fonds nécessaires pour assurer un fonctionnement normal », fait valoir la direction d'ABLV dans un communiqué.

La banque de Riga explique qu'elle a décidé « de mettre en gage une partie des titres à sa disposition en demandant à la Banque de Lettonie, à son tour, d'accorder un prêt à hauteur de 480 millions d'euros ». La solution pourrait passer par un rachat de ses actifs, à l'image du sauvetage de Popular par Santander.

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Cette affaire interroge sur la qualité des contrôles anti-blanchiment en Lettonie et de la supervision bancaire du régulateur national, le FCMC (Financial and Capital Market Commission), responsable de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, qui n'est pas dans les attributions directes de la BCE.

L'affaire tombe au plus mal pour le pays balte : le gouverneur de la Banque centrale de Lettonie a été arrêté ce week-end par le bureau national anti-corruption. Il est soupçonné d'avoir reçu un pot de vin de 100.000 euros, dans un dossier qui n'a, semble-t-il, rien à voir avec les déboires d'ABLV, mais jette un voile de suspicion sur l'ensemble du système financier letton et ses gendarmes.

source : latribune.fr